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Les impacts environnementaux et sociaux-économiques de l’utilisation du glyphosate en agriculture

Article écrit par Valentin BEAUVAL, agriculteur angevin aujourd’hui retraité, agronome, consultant du CIRAD et d’AVSF dans divers pays du Sud.

Remarque : Cet article, légèrement remanié pour le blog d’Agrifind, a été écrit à la base pour le procès de Foix (à la demande des prévenus et utilisé comme un témoignage pour les juges). Il est centré sur les impacts environnementaux et socio-économiques d’un usage aujourd’hui très excessif du glyphosate. Les alternatives agronomiques sont également évoquées. Les impacts sur la santé humaine sont évidemment importants et l’objet de vives controverses. Ils ne sont pas évoqués par l’auteur car il estime ne pas avoir de compétences en la matière.

Le glyphosate, matière active du « Roundup » et aujourd’hui de nombreux autre produits commerciaux depuis sa « tombée » dans le domaine publique au début des années 2000, a été bien accueilli lors de sa mise sur le marché en 1974 car son effet systémique (la substance active circule dans la plante) permet de détruire un grand nombre d’adventices à rhizome comme les liserons, les chardons et les graminées vivaces. C’est un herbicide pénétrant par les feuilles et ensuite véhiculé dans la plante jusqu’aux racines. Il ne détruit que les plantes directement touchées et il n’a pas d’effet anti-germinatif permettant de contrôler les levées d’adventices. Ces caractéristiques sont particulièrement attractives. Malheureusement, son utilisation ne s’est pas uniquement limitée au contrôle d’adventices difficiles à gérer par les agriculteurs…

Un témoignage écrit pour les besoins d’un procès

On constate depuis le début des années 2000 et la forte baisse du prix du glyphosate [1] en France et partout sur la planète une très forte augmentation de son utilisation comme « herbicide total » non sélectif, il détruit toutes les plantes présentes. Les produits phytosanitaires à base de glyphosate sont maintenant appliqués très fréquemment sur une grande partie des superficies cultivées et parfois plusieurs fois par an sur les mêmes parcelles. Parmi les usages fréquemment observés, on peut citer :

– 1) des applications sur toute la surface de la parcelle avant les semis pour « la nettoyer » et éviter un travail mécanique du sol ;

– 2) pour les agriculteurs semant des plantes rendues résistantes à cet herbicide par transgénèse : soja [2], maïs, coton, colza…), des applications systématiques après levée sur ces cultures ;

– 3) pour le Nord-Ouest de l’Europe où le climat est humide son utilisation sur céréales à paille juste avant leur récolte pour favoriser la dessiccation des adventices et la maturation de ces céréales ;

– 4) avant la moisson de certaines semences (comme la luzerne…) et de certaines légumineuses (comme le pois-chiche), une application pour détruire les adventices et ainsi faciliter la récolte ;

– 5) dans de très nombreuses zones de l’Union Européenne, des applications après la récolte des céréales à paille pour détruire les herbes présentes dans les chaumes. Cette destruction chimique est une alternative à la destruction par des déchaumages mécaniques ;

– 6) des applications pour « dessécher » des couverts végétaux (destruction d’une moutarde semée après un blé, ce qui peut permettre d’éviter de labourer la parcelle) ;

– 7) une addition de plusieurs utilisations mentionnées ci-dessus lorsque le système de culture repose sur du semis direct (c’est-à-dire sans labour) et des plantes rendues par transgenèse tolérantes à cet herbicide (c’est par exemple le cas de la majorité du soja produit en Amérique du Sud) ;

– 8) de nombreuses applications en zone non agricole (ZNA) par des particuliers, des collectivités territoriales, le long des voies ferrées, dans des sites industriels, le long des routes et autoroutes …

L’ensemble de ces applications de glyphosate se substituent le plus souvent au travail de désherbage mécanique ou manuel du sol et ce sont des solutions de facilité ou « de confort » pour les personnes qui ne prennent pas en compte les impacts environnementaux et sociaux des épandages de glyphosate et des adjuvants qui lui sont associés.

Dans la présente note, nous n’évoquerons pas les importants impacts directs sur la santé humaine [3] de l’utilisation des produits commerciaux à base de glyphosate mais nous analyserons leurs impacts environnementaux comme la réduction de la biodiversité et la pollution des eaux. Nous mentionnerons ensuite les impacts socio-économiques des systèmes de culture basés sur une forte utilisation de glyphosate.

Impact du glyphosate sur la biodiversité

L’application d’un herbicide total, c’est-à-dire détruisant toutes les plantes présentes, est forcément néfaste pour la biodiversité (voir focus ci-après) de la zone d’épandage [4]. Et cet impact sera d’autant plus important que les applications de glyphosate sont répétées fréquemment suite aux pratiques culturales et aux rotations adoptées par l’agriculteur. On sait pourtant qu’une biodiversité appauvrie réduit la durabilité globale des systèmes de production agricoles.

Focus sur la biodiversité

« On peut décrire la biodiversité comme étant la variabilité parmi les organismes vivants. Ce concept englobe également la diversité au sein d’une espèce, entre espèces et entre écosystèmes. La biodiversité est importante parce que toutes les plantes, tous les animaux, insectes et micro-organismes interagissent et dépendent les uns des autres pour des ressources vitales comme la nourriture, les abris ou l’oxygène. Tous les organismes sont par conséquent interconnectés, chacun d’eux jouant un rôle qui lui est propre dans le « cercle de la vie ». Toute perte de biodiversité menace l’existence d’espèces individuelles et met en péril les écosystèmes desquels dépendent les êtres humains pour s’approvisionner en aliments et en matières premières » [5].

· Exemples d’impacts de l’usage du glyphosate sur la biodiversité :

– les herbicides totaux tuent dans les parcelles traitées les plantes qui fournissent de la nourriture à l’ensemble des insectes et de la microfaune ;

– ces traitements peuvent aussi diminuer la source de nourriture des oiseaux des champs tels que la perdrix et l’alouette ;

– après leurs fréquentes applications, on peut observer la réduction du nombre d’insectes auxiliaires (qui ne trouvent plus leur nourriture) et l’augmentation de la présence d’insectes dits nuisibles (qui ne sont plus naturellement régulés par des auxiliaires). Il faut alors intervenir avec d’autres produits phytosanitaires pour éliminer les insectes nuisibles. Par conséquent, l’utilisation trop fréquente des herbicides totaux peut entraîner l’utilisation d’autres pesticides pouvant aussi être néfastes pour les agroécosystèmes.

La pollution des eaux par le glyphosate

Le glyphosate est la molécule active dans le « Roundup » ou les produits apparentés et l’AMPA ou l’acide aminométhylphosphonique est le principal résidu de sa décomposition chimique. Conséquence de la forte croissance d’utilisation du glyphosate, l’AMPA et le glyphosate sont, dans de nombreuses régions agricoles de France, les molécules les plus fréquemment rencontrées dans les eaux de surface : rivières, lacs… (voir ci-après, le classement par fréquence de détection des pesticides rencontrés dans les eaux superficielles en Pays de la Loire en 2015 [6].

Source : http://www.hoajonline.com/toxicology/2056-3779/2/1

Dans les cours d’eau des Pays de la Loire comme dans bien d’autres régions, l’AMPA est le pesticide le plus fréquemment quantifié. En 2015, il était présent dans plus de 83 % des prélèvements (82 % en 2014) et à des concentrations presque systématiquement supérieures à 0,1 μg/L (qui est la limite maximale admise dans la directive UE pour l’eau de consommation).

On retrouve également le glyphosate et surtout l’AMPA dans les nappes phréatiques. Cette forte présence entraîne d’importants surcoûts de traitement (filtration…) des eaux pour les rendre potables. C’est un problème que nous devrons gérer dans la durée pour l’AMPA qui se dégrade aussi lentement que les résidus d’atrazine [7] encore très présents dans les eaux alors que cette molécule est interdite depuis 2003 en France.

Les faits mentionnés dans les deux paragraphes précédents, me conduisent à penser qu’il est impossible de concilier l’utilisation importante du glyphosate et l’agroécologie.

La réduction de l’emploi agricole et les autres impacts socio-économiques

La réduction de l’emploi agricole induite par l’usage de désherbants totaux est très peu fréquemment évoquée en Europe mais elle est largement documentée dans les plaines d’Argentine et du Sud Brésil où les applications de glyphosate sont très nombreuses. L’impact négatif sur l’emploi d’un herbicide total est facile à comprendre : il se substitue à des désherbages mécaniques et l’on sait que la productivité du travail obtenue avec un pulvérisateur de 24 m ou 36 m de large est de 5 à 10 fois supérieure à celle d’un outil de travail du sol travaillant de 2 à 6 m de large ! D’autres impacts socio-économiques en découlent dans les exploitations de grandes cultures des grandes plaines céréalières mondiales qui utilisent beaucoup de glyphosate et cumulent l’usage de cet herbicide total et le travail simplifié du sol, en conséquence, les temps de travaux par ha peuvent diminuer de moitié.

Un actif peut alors cultiver seul en grandes cultures plus de 200 ha de SAU (Surface Agricole Utile) et on a alors un demi-actif agricole pour deux km² cultivés. Cela favorise en conséquence l’agrandissement rapide des exploitations avec, comme corollaire, une diminution de la densité d’actifs agricoles dans les territoires concernés. Une réduction de la vitalité et des dynamiques sociales dans ces terroirs est également une conséquence fréquemment observée.

L’augmentation de la productivité du travail n’est pourtant pas un avantage économique dès lors que l’on prend en compte le coût environnemental, sanitaire et social de l’usage du glyphosate. Le surcoût apparent des bonnes pratiques agricoles permettant de renoncer à son usage peut être compensé par des aides environnementales bien ciblées. La ville de Munich a, par exemple, sécurisé son approvisionnement en eau potable et en parallèle a fortement diminué le coût de cette eau en aidant les agriculteurs travaillant sur ses zones de captage et leurs bassins versants afin qu’ils n’utilisent pas d’herbicides.

Autre impact social : L’utilisation fréquente de glyphosate peut induire des conflits entre les agriculteurs et les autres personnes vivant sur les mêmes territoires. On le note en France avec des traitements au glyphosate ne respectant pas les haies ou les bordures des cultures voisines. C’est un problème encore plus préoccupant en Argentine où les traitements sont souvent effectués par avion avec des incidences négatives sur la santé des riverains (faits de plus en plus documentées) [8].

Quelles alternatives à l’usage du glyphosate en grandes cultures ?

Les alternatives à l’usage du glyphosate et plus largement des désherbants totaux sont bien connues en grandes cultures. Il faut « simplement » revenir à des désherbages mécaniques comme plusieurs déchaumages après récolte et des labours « agronomiques » peu profonds [9] afin de ne pas diluer la matière organique et favoriser l’érosion.

Pour réduire la pression de certaines adventices, il suffit, dans la plupart des cas, d’allonger les rotations en alternant des cultures d’été et des cultures d’hiver et en diversifiant les familles botaniques cultivées.

Revenir à ces solutions de bon sens ne réduira pas la productivité ! On sait d’ailleurs que les meilleurs rendements en blé ont été obtenus dans plusieurs zones de grandes cultures françaises en 1997, avant l’explosion de l’usage du glyphosate !

Informations complémentaires :

[1] Le brevet du glyphosate étant dans le domaine public depuis l’an 2000, de nombreuses entreprises phytosanitaires, notamment en Chine, le produisent et son prix a très fortement chuté.

[2] Les quasi monocultures de soja Génétiquement Modifié pour être tolérant au glyphosate en Argentine et au Brésil ont entraîné une utilisation massive de cette matière active. Vu la répétition des traitements, des adventices n’ont plus été détruites par les doses recommandées de cet herbicide et les agriculteurs utilisent des doses de plus en plus importantes.

[3] Plusieurs études récentes mettent en évidence le rôle de perturbateur endocrinien du glyphosate. D’autres études signalent l’augmentation des résidus de glyphosate et AMPA dans les aliments pour les humains et les animaux (par exemple, dans le soja OGM)

[4] « Les chercheurs distinguent bien les responsabilités. Ce ne sont pas les OGM eux-mêmes qui sont responsables d’un appauvrissement de la faune et de la flore, mais les herbicides totaux qui y sont associés. Ainsi, les herbicides utilisés sur les plants de colza conventionnel sont pulvérisés avant que les plants ne sortent de terre, tandis que les herbicides utilisés sur les colzas GM sont appliqués plus tard et détruisent plus largement les adventices. Certaines d’entre elles risquent ainsi de se raréfier. La nourriture et l’ombre qu’elles procurent à de nombreux insectes butineurs et oiseaux diminueraient d’autant, et ces différentes espèces se verraient menacées dans leur diversité », extrait de : « Une étude britannique montre les risques des cultures OGM pour la biodiversité ».

[5] http://www.glyphosateeu.fr/la-biodiversite-et-lagriculture-moderne

[6] DREAL des Pays de la Loire, http://www.pays-de-la-loire.developpement-durable.gouv.fr/cartes-d-etat-des-masses-d-eau-et-evolutions-r1510.html

[7] Selon les données disponibles, les demi-vies dans les sols de l’atrazine et de l’AMPA seraient assez comparables.

[8] voir Revue Agriculture, Environnement et Société, 2016, vol.5, n°2, 14, « L’innovation dans les pratiques professionnelles des agronomes face aux externalités négatives du modèle dominant en grandes cultures », Susana Grosso, Faculté de Sciences Agraires – Université National du Littoral – Argentina.

[9] Plusieurs expérimentations ont mis en évidence que les labours profonds ont effectivement un effet négatif sur le taux d’humus et le stockage du carbone dans de nombreux sols. Par contre, pour conserver de l’humus dans des sols vivants, un travail du sol superficiel associé à des rotations longues et à un retour au sol des résidus de récolte n’est-il pas plus favorable que l’usage excessif du glyphosate associé à des systèmes de cultures trop simplifiés ? J’en suis personnellement persuadé. Des expérimentations longues devraient porter sur cette comparaison en mesurant dans les deux cas les impacts carbone à moyen et long terme (voir le projet d’augmentation du taux de carbone dans les sols jusqu’à 4 pour 1000 pour limiter l’accroissement du CO² atmosphérique).

 

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