AVANT PROPOS
Alors que la Tribune rappelait récemment que les start-ups françaises du secteur l’Agtech et de la Foodtech – comprenez les technologies numériques appliquées à l’agriculture et à l’agro- alimentaire – avaient levé pas moins de 560 millions d’euros sur l’année 2020, installant la France en première position en Europe et en cinquième position dans le monde en termed’investissements, nous apprenons maintenant que le gouvernement français, au travers de son ministre de l’agriculture Julien Denormandie et de son secrétaire d’état chargé de la transition numérique Cédric O, lance un vaste plan de plus de 200 millions d’euros pour accompagner les entreprises de l’Agtech et de la Foodtech : le French AgriTech.
Pour ses promoteurs, le numérique en agriculture est présenté tout à tour comme une révolution et une nécessité. Big Data, Objets connectés, Robotique, Outils d’aide à la décision, Block Chain, Intelligence Artificielle, 5G … – ces technologies et buzzword supposés répondre à tous les défis posés à l’agriculture sont de plus en plus présentes dans la bouche des acteurs qui gravitent dans et autour de l’écosystème agricole, même s’il n’est pas certain que ces acteurs en aient vraiment compris la portée. J’avais envie ici de donner à voir ces outils numériques d’une autre façon…
Cet article est très largement différent ce ceux que j’ai pu écrire par le passé. Ici, pas de sujet trop technique ni de longs entretiens avec des professionnels du secteur. Ce travail est le fruit de nombreuses lectures d’articles scientifiques de sciences humaines et sociales sur le numérique en agriculture (toute la bibliographie scientifique est disponible en bas de l’article), complémentées par des réflexions personnelles. Discipline encore trop peu connue et suivie par les technologues, je laisse la parole aux sciences humaines et sociales dans cette synthèse, souvent au travers d’extraits ciblés de leurs travaux de recherche. Même si certains chercheurs de ces disciplines travaillent sur le numérique agricole depuis plusieurs années, le sujet explose réellement depuis 4-5 ans dans la littérature (il suffit de regarder les dates de parution des articles cités dans la bibliographie). Les sciences humaines et sociales pointent du doigt de nombreux enjeux éthiques, sociaux, sociétaux, culturels, ou encore politiques dont les acteurs historiques agricoles et les nouveaux entrants du numérique ne semblent pas avoir pris la mesure. Ou, dit peut-être un peu moins naïvement, que ces acteurs ne veulent pas vraiment considérer dans la mesure où ces enjeux ne sont pas en totale cohérence avec leurs objectifs et intérêts personnels.
Soyons clairs, cet article n’a pas vocation à totalement diaboliser et décrédibiliser l’usage des outils numériques en agriculture. Je suis encore bien impliqué dans ce domaine, mais j’aspire à un numérique dans lequel les valeurs d’inclusivité, de partage de connaissances, de collaboration, ou encore d’émancipation seront au cœur des préoccupations pour la filière agricole. Il est temps d’arrêter de se demander ce que sont ces technologies, mais plutôt de s’intéresser à ce qu’elles font, à ce qu’elles promeuvent, à ce qu’elles impliquent et dans quel système elles s’insèrent. Le sujet du numérique en agriculture n’est pas simplement technique. Il est bien plus large que ça et il serait temps de s’en rendre compte…